Cet atelier a eu lieu du 17 au 21 juillet à Dar Bach Hamba, il a été organisé en partenariat avec l’Art Rue et avec le soutien du CNC et de l’IFT. C’est le 2ème atelier dédié à la critique  (le premier avait eu lieu l’année précédente), destiné au même groupe de participant/e/s. Il a été animé par Hajer Bouden et Insaf Machta, comme le précédent.

Nous travaillons tout au long de l’année avec les adolescent/e/s de Dar Bach Hamba sur l’expression orale des points de vue sur les films lors des projections-débats. L’initiation à la critique ou à l’écriture de textes sur les films fait pleinement partie de l’éducation à l’image. Il s’agit d’approfondir par l’exercice de l’écriture l’expression du point de vue, l’argumentation et l’analyse de l’image. Cela nous semble primordial à une époque où les jeunes sont sollicité/e/s par le déferlement des images et où il/elle/s manquent de recul face aux flux d’images consommées quotidiennement. L’écriture représente justement cette prise de distance nécessaire à la compréhension des images et à la construction du point de vue.

Parmi nos objectifs :

  1. Réfléchir collectivement sur les films programmés lors de l’atelier.
  2. Analyser des extraits de ces films.
  3. Formuler une problématique rendant compte des enjeux du film qui fera l’objet d’un article et la discuter avec les participant/e/s.
  4. Développer cette problématique sous forme de texte en se référant au film et/ou à certaines de ses séquences.

Les films sur lesquels nous avons travaillé ont été préalablement choisis par les participant/e/s parmi les films programmés l’année en cours et les années précédentes. Le choix des participant/e/s s’est porté sur les films suivants : Sherlock Junior de Buster Keaton, Nirin de Josua Hotz, F430 de Yassine Qnia, Sous les figues de Erij Sehiri et The Host de Bong Joon-ho. Si certain/e/s ont d’abord eu un peu de mal à s’adapter aux différentes étapes et à mettre en mots leurs ressentis et leurs émotions, d’autres, déjà initié/e/s à l’exercice pour l’avoir réalisé par le passé, ont rapidement ébauché des débuts de textes dans la langue de leur choix. Alternant entre réflexions individuelles et échanges collectifs, et avec l’appui des animatrices, trois participantes ont finalement pu proposer une version finale de leurs critiques. Nous avons décidé que pour les prochaines sessions de l’atelier de critique, nous continuerons à procéder de la même manière avec les plus âgé/e/s (qui ont pu finaliser leurs textes lors des ateliers de 2022 et 2023) mais que nous proposerons aux plus jeunes des exercices plus simples que la rédaction d’un article : description d’une séquence, rédaction d’un résumé personnel du film où on intègrerait ses impressions, etc.

On a eu trois critiques à l’issue de l’atelier ; deux ont été écrites en dialectal tunisien et une en français. Les articles en dialectal tunisien se trouvent sur la rubrique équivalente en langue arabe.

Article écrit en français

F 430 : le temps d’un rêve

Par Aïcha Antoine

F 430 est un court métrage de Yassine Qnia qui se déroule en banlieue parisienne, à Aubervilliers, où le réalisateur a grandi. Il raconte l’histoire de deux amis qui ont volé un sac qui semble être celui d’un vieil immigré, contenant ses papiers et sans doute toutes ses économies, en tout cas une très grosse somme. Ladhi, le personnage principal, décide de garder l’argent pour lui seul et prétend n’avoir trouvé que des papiers. Il utilise cet argent pour louer une Ferrari d’un rouge pétant avec laquelle il va frimer dans tout le quartier.

La dimension légèrement humoristique du film et de certains dialogues n’empêche pas la dimension absurde de la situation et même souligne une certaine gravité. Ladhi aurait pu changer complètement sa vie grâce à cette somme mais quelque part on le comprend quand même, il a tenté de réaliser un rêve d’enfant, nourri de fictions et d’actions, de films et de jeux vidéo. Il y est parvenu pour quelques rares moments, il a goûté au plaisir de s’exposer aux autres, bien que brièvement.

Le film aborde avec finesse plusieurs questions dont l’une des plus importantes concerne les rêves de luxe en rapport avec une réalité sociale difficile. Il est construit sur plusieurs contrastes qui soulignent cette opposition entre rêve et réalité : le luxe et la pauvreté du quartier, la couleur de la voiture et la grisaille des bâtiments, le grondement du moteur et le silence, la joie enfantine et la peur, la puissance du bolide et la panne qui fait redescendre le personnage sur terre.

Cette binarité n’empêche pas la complexité des situations et des personnages, bien au contraire, cette binarité n’est pas du manichéisme. Il y a des nuances d’énergies et de tonalités : le rire, la violence, la tendresse, le risque… Par exemple, les deux amis restent amis malgré leur bagarre. Cela peut paraître illogique au premier abord mais cette bagarre semble, paradoxalement, avoir renforcé leur amitié.

Ce n’est pas un énième film sur ce qu’on appelle la jeunesse des cités mais un film qui raconte une histoire à Aubervilliers. C’est un autre regard porté sur la banlieue et ses habitants, différent de ce qu’on cherche à nous donner à voir d’habitude dans les médias par exemple. C’est un film léger, subtil et dense, riche en émotions qui se côtoient et se superposent, sans que l’une d’elles domine ou impose un parti à prendre.